Ce jour-là, Étienne de Crécy veut faire écouter à Philippe Zdar, son complice au sein de Motorbass, les morceaux sur lesquels il travaille. Une « House » classieuse, des samples bien dosés et des basses gonflées pour faire sautiller le dancefloor. Du travail d’orfèvre électronique dans la lignée de leur mythique Pansoul sorti en 1996. Sauf que voilà... Philippe va vite comprendre qu'il ne sera pas de la partie sur ce disque. Sur ce coup-là, Etienne veut se la jouer solo. C’est donc sur cette séparation relatée par Raphael Malkin, auteur de Music Sounds better With You (Le mot et le reste) que débute le projet Superdiscount, l’un des plus emblématiques, tant sur le plan esthétique que musical, de cette French Touch arrivée au sommet.
Dans cette pseudo-compilation, Etienne de Crécy décline ses alias (Mooloodjee, Minos pour Main basse sur la ville, La Chatte Rouge) et s'entoure d'Alex Gopher (son fidèle complice avec qui il a co-fondé le label Solid ), du groupe Air et de Mr Learn (promu aux effets sonores). Deux titres ressortent instantanément à l'évocation de ce disque à la pochette désormais culte. D'abord, Prix Choc, évidemment, et ses fumants gimmicks Sensemilia, Marijuana (des dialogues extraits du documentaire Roots, Rock, Reggae - Inside The Jamaican Music Scene - 1979). Un hymne qui s'appuie aussi sur une colonne vertébrale de toute beauté : le Hurt So Bad de Grant Green (avec Idriss Muhammad à la batterie, ndlr). Ajouté à cela de puissant kicks aux pouvoirs ondulatoires imparables et vous obtenez sans nul doute l'un des titres de la musique électronique Française le plus représentatif des nineties. Et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas subi les affres de la dépréciation temporelle. Avec Prix Choc, on en a pour son argent, forcément.
Ensuite, on se rappelle aussi le lancinant Le patron est devenu fou, sorte de prolongement musical taillé pour satisfaire les "Motorbassvore" avec l'élasticité d'une rythmique qui évolue vers un Maellstrom dont le climax est atteint via une boucle tirée du Runnin' Out of Fools d'Isaac Hayes. Et puis, il y a tous les satellites "Superdiscounters" à commencer par ces deux interludes, l'un electrique (Dj Tall, Tout à 10 balles), l'autre cinématique avec la Fermeture Définitive de Mr Learn et son dialogue de film aux charmes surannés.
Parmi ces "Superdiscounters" de talent, une place de samples-digger a été réservé au complice de longue date en la personne d'Alex Gopher. Il hérite ainsi d'un Super Disco porté par l'intro du Spring Affair de Donna Summer. Mais aussi d'un Destockage Massif minimaliste chargé en variations de Hi-Hats. Etienne de Crécy n'a pas oublié non plus de recruter de solides VRP du bien-être. Associés au patron, Jean-Benoit Dunckel et Nicolas Godin, les deux représentants de AIR, proposent une superbe affaire avec Soldissimo, ou comment recycler puis étirer une superbe ritournelle à la guitare éprouvée sur Les Professionnels (Premiers Symptômes) qui servira plus tard de base au titre All I Need (Moon Safari).
Comme annoncé, Le patron est vraiment devenu fou. Etienne de Crécy souffre ainsi de skyzophrénie sur ce disque en se dissimulant, sur tout les autres morceaux, derrière de multiples identités. Lorsqu'il se mue en La Chatte Rouge, on marche sur du velours (forcément) avec Affaires à faire, une évocation de la nostalgie en version Abstract Hip Hop de toute beauté, à la fois cuivrée et synthétique. En enfilant le costume de Minos, référence au terrifiant psychopathe du film Peur sur la ville, il ne pouvait pas appeler son morceau autrement que Tout doit disparaitre. Dans cette longue montée où les sonorités voyagent continuellement en mono, de votre oreille gauche à celle de droite (si vous portez un casque), de part et d'autre de la pièce (si vous l'écoutez à la maison), l'auditeur devient le héros d'une expérience sonore inédite. Les 10 jours fous, sortis cette fois de l'imagination de son alter-ego Mooloodjee (avec lequel il developpera le label Poumtchak), procède aussi d'une longue séance d'errance dans les méandres d'une House suave, extatique et sampladélique. Lorsqu'il reprend enfin ses esprits et donc son nom, Etienne de Crécy se lance dans une Liquidation totale plutôt énervée (et parfois énervante et crispante avec le gimmick vocal I'm Gonna Leave You).
Avec Superdiscount, Etienne de Crécy revisite donc l'imagerie des enseignes bon-marchés, de la consommation "cheap", de cette quête des prix les plus bas... Tout en nous livrant une musique classe et luxueuse, vraiment pas au rabais. Un SUPERpackaging signé H5 (l'idée des quatre maxis dont les pochettes mises côte à côte reconstituent le logo Super Discount), des SUPERamis en guests, une fabrication SUPERartisanale pour un SUPERdisque, SUPERefficace et SUPERmoderne. A l'arrivée, un album à la valeur inestimable et qui, de surcroit, nous est cher... T.G
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