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Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur

Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur

Jean-Michel Jarre prend une bouffée d'oxygène...  © Jens Koch Photography
Jean-Michel Jarre prend une bouffée d'oxygène... © Jens Koch Photography

INTERVIEW. Un prénom et un nom figés dans l'espace temps. Une marque presque, qui renvoie (trop ?) souvent à un passé conjugué au futur et qui sonne aujourd’hui un brin désuet. Pourtant, Jean-Michel Jarre, considéré comme un pionnier dans l’art d’explorer les sonorités électroniques, a sans doute toujours suivi l’évolution de ce genre musical. Même s’il a pris, volontairement ou non, ses distances avec lui. En ce mois d'octobre, il revient avec le premier volet d’un projet ambitieux : retracer une Histoire de la musique électronique sur quarante ans à travers des collaborations inédites, parfois insolites voire insoupçonnées. Des précurseurs (Pete Townshend, Tangerine Dream, John Carpenter, Vince Clarke…) aux héritiers de la deuxième génération (Moby, Air, 3D de Massive Attack…) en passant par la jeune garde (Gesaffelstein, Fuck Buttons, Boyz Noise), JMJ se frotte (enfin) à un véritable exercice de style. Et nous prépare déjà un deuxième volet (à paraître en avril 2016) qui s’annonce encore plus excitant. Rencontre avec un mythe en pleine renaissance.

Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur
Electronica - Volume 1 : Time machine. Cover
Electronica - Volume 1 : Time machine. Cover

Electronica va sans doute marquer un tournant dans votre discographie débutée en 1972 avec l’album Deserted Palace. Quel est le concept ?

Je voulais collaborer avec des gens qui soient directement ou indirectement liés à la scène électronique sur les quatre dernières décennies. Au fond, depuis que j’ai commencé moi-même à faire de la musique. A une époque où l’on fait beaucoup d’albums de « featurings » qui se résument souvent à l’envoi de fichiers par internet sans que les artistes ne se voient, je fais tout le contraire. Je me suis déplacé physiquement et suis allé à la rencontre de gens avec qui j’avais envie de travailler et de créer. Pour chaque morceau, j’ai composé des maquettes dans l’esprit de ce que j’attendais des différents artistes. C’est une des raisons pour lesquels l’album à une certaine cohérence. Ce n’est pas un patchwork, mais il y a un fil conducteur, en l’occurrence moi, mais chacun a aussi fait la moitié du chemin dans l’autre sens. Cet album revêt une importance particulière et je l’accompagne. Il n’y a pas de morceaux secondaires, ils racontent tous une histoire et un univers. Tout en s’inscrivant dans un voyage initiatique. J’ai eu la surprise en proposant cela que tout le monde accepte. Je me suis donc retrouvé avec un projet beaucoup plus gros que celui que que j’avais en tête. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de scinder ce projet en deux. Un premier album Electronica, Time Machine qui sort le 16 octobre et le suivant (dont le titre n’est pas arrêté) qui arrivera au printemps 2016.

Combien de temps a nécessité l’élaboration d’un tel projet ?

Cela a pris quatre ans. Pendant tout ce temps, j’ai passé ma vie uniquement en studio en faisant ce pont entre générations et continents. De Tangerine Dream à Air, en passant par Gesaffelstein ou Moby, John Carpenter ou le pianiste Lang Lang. Il y a toujours une raison spéciale en terme de son et de musique. Pete Townshend, des Who, a par exemple été le premier a intégré les séquenceurs et les synthés dans le rock anglais notamment avec l’album Who’s Next (1971). Tout ces gens ont un point commun : une patte instantanément reconnaissable et probablement une approche organique et sensuel du son. Aujourd’hui, la musique électronique est la plus populaire dans le monde, elle n’a plus de frontière. Ce n’est pas un genre musical comme le rock, le punk ou le hip hop. C’est une manière différente de concevoir la musique, elle n’est pas fondée sur un solfège. Cette idée m’a été enseignée par mon mentor Pierre Schaeffer, le pape de la musique concrète. Il se disait, qu’au fond, ce qui fait la différence entre le bruit et la musique, c’est l’intention du musicien. Cette approche révolutionnaire m’a convaincu de prendre ce chemin. Je savais, depuis le départ, que cette musique allait devenir la plus écoutée du 21e siècle. Aujourd’hui, cet album retrace cette Histoire de manière poétique et musicale. Chaque rencontre donnant naissance à un morceau instantanément reconnaissable et témoigne de l’intemporalité de cette musique.

" Un projet placé sous le signe du partage "

 © Jens Koch Photography
© Jens Koch Photography

Trois Français sont à l'honneur sur cet album (M83, Air et Gesaffelstein). Quel regard avez-vous porté sur les vagues successives de cette « French Touch » née dans les années 90 ?

J’entretiens un rapport tout à fait affectif avec cette époque. Ce sont tous mes petits frères. Je dis souvent qu’il y a de l’Oxygène dans l’Air ! On a beaucoup de choses en commun. Quand nous parlons Anglais, nous avons tous un accent Français. Et notre musique a, elle aussi, un accent français. En France, il y a une approche impressionniste de la musique électronique. Une même volonté de créer des paysages sonores à la différence de Kraftwerk ou Tangerine Dream qui possèdent une approche plus robotique et froide. Il y a une grande différence entre le fait d’être international et celui d’être universel. "Etre universel", c’est creuser dans son propre terroir et de trouver ce qu’il y a de commun à un petit brésilien, un petit esquimau, un Américain ou un Chinois. Quand on fait du rock, quelque soit le talent, on n’aura jamais la même légitimité que les Anglo-Saxons. Nous Européens, nous l’avons dans la musique électronique avec un style qui nous est propre. Elle est d’abord née en France et en Allemagne. C’est une musique, avec ses longues plages instrumentales, qui est issue d’une tradition classique. C’est sans doute pour cela que la scène Française et aussi Allemande est extrêmement importante et pertinente avec une manière différente d’appréhender la musique.

Vous avez toujours donné l’impression d’évoluer en marge de cette frange contemporaine des musiques électroniques...

Beaucoup de musiciens de musiques électroniques sont en retrait. On a ses amis, sa famille, parfois même son public, mais on n’a pas souvent l’occasion de se croiser, à part dans des sets de DJ’s. Collaborer sur des morceaux, c’est très rare. A un certain moment, je pense aussi que tout les grand concerts que j’ai pu faire ont du créer une espèce d’écran de fumée entre les raisons pour lesquelles je le faisais, la musique, et le résultat visuel qui a pu vampiriser mon activité principale. L’idée a germé et a muri à une époque où j’ai eu un passage personnel un peu compliqué, j’ai perdu mes deux parents (la Résistante France Péjot et le compositeur Maurice Jarre) et mon éditeur (Francis Dreyfus) pratiquement la même année. C'était une période difficile et, à un moment où l’on a l’air d’être connecté au monde avec Internet, mais dans lequel finalement on se sent de plus en plus isolé, j’avais envie de travailler sur un projet placé sous le signe du partage. Les musiciens de musiques électroniques sont assez solitaires, notre manière de travailler s’apparente à celle d’un peintre ou d’un écrivain dans un atelier, isolé dans son home studio. J’ai été très touché par l’accueil que chaque artiste m’a réservé. On a ouvert nos studios et partagé nos secrets.

On ne vous a jamais vu mixer en club. Pourquoi ?

Cela m’est arrivé de temps à autre, mais dans des contextes privés. Je pense que c’est comme les albums, il faut les faire quand on a quelque chose à dire. Le projet Electronica se prête à cet exercice. Faire un Dj Set juste pour en faire un, ce ne serait qu’un de plus et cela ne m’a jamais intéressé. En revanche, m’impliquer dans un concept de DJ set par rapport à un projet précis pour en faire quelque chose de personnel, là oui.

Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur
Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur

Vous trouvez-vous des points communs avec des artistes comme Jeff Mills et Laurent Garnier ?

Jeff Mills est un des artistes qui figuraient en tête de liste de mes choix et il se trouve qu’il figurera au générique d’Electronica 2. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et que je connais depuis un bon moment. On s’était rencontré il y a pas mal d’années, à une époque où il voulait sortir de son image de DJ Techno pour se frotter à la composition musicale. Il était venu me voir dans mon studio d’une manière très touchante et cela m’avait beaucoup marqué. Il m’avait demandé des conseils sur la manière de structurer un morceau de musique. Tout cela de façon très simple. Jeff Mills est un artiste très sensible qui réfléchit beaucoup et qui a un trajet en constante évolution. J’avais vraiment envie de travailler avec lui. Il compte énormément pour moi. Et je suis très heureux, lui aussi, du morceau qu’on a fait ensemble. Quant à Laurent Garnier, je le connais bien. Il aurait pu aussi figurer sur ce projet. Mais il a fallu se fixer des limites sinon on aurait inventé un nouveau concept : le « Neverending album » (l'album sans fin, nldr). Ce n’est pas exhaustif : les gens qui ne sont pas dans ce projet ne sont pas des gens que je ne respecte pas. Bien au contraire.

" Pour ce projet, Air avait plus de sens que Daft Punk "

Jean-Michel Jarre in Egypt (2000) / Daft Punk Alive Paris 2007 ( © Jeremiah Garcia)
Jean-Michel Jarre in Egypt (2000) / Daft Punk Alive Paris 2007 ( © Jeremiah Garcia)

Vous êtes l’incarnation du « megaspectacle sons et lumières » dans la musique électronique. Qu’avez-vous pensé du Live des Daft Punk en 2007 ?

Je l’ai trouvé intéressant. Mais je n’étais pas du tout étonné par ce spectacle qui était d’une grande réussite. Dès le départ, quand j’ai commencé la musique électronique, j’étais le seul à faire le lien entre le besoin d’une scénographie et l’instrument électronique qui n’est pas l’objet le plus sexy du monde pour un concert de 2 heures. J’ai très vite compris que l'un des ingrédients essentiels de la performance sur scène passe par une scénographie et une technique visuelle comme la vidéo, les lasers etc… C’est un prolongement de ce que l’on a initié il y a une trentaine d’années. A l’époque, il y avait Pink Floyd et moi. J’ai été une source d’inspiration pour la jeune génération. Et aujourd’hui, elle l’est aussi pour moi.

Mais avez-vous sollicité les Daft Punk pour ce projet ?

J’aime beaucoup les Daft Punk. Mais il se trouve que lorsque j’ai commencé à travailler sur mon projet, eux sortaient un album (Random Access Memories) qui avait pour dessein de prendre une distance avec la scène électronique et de se concentrer sur le Disco et les années 70 avec le son de Nile Rodgers. Ce n’était donc pas du tout la direction que je désirais prendre pour ce projet-là. Cela ne rentrait pas dans les cases. Mais un jour, pourquoi pas. Il était évident qu’à ce moment-là, Air avait beaucoup plus de sens que Daft Punk.

Jean-Michel Jarre : Retour vers le futur
Le vinyle fait appel à nos cinq sens...
Le vinyle fait appel à nos cinq sens...

Le regain d’intérêt pour le disque vinyle, cela vous inspire quoi ?

Je ne suis pas très surpris. Cela montre que nous sommes des animaux analogiques. Nous aimons toucher ce que l’on écoute. Dans un monde de plus en plus « virtualisé » par rapport au son, on a besoin de ce référer à des choses tangibles. Et dans ce domaine, le vinyle possède une certaine poésie et fait appel à tous les sens. Quand on achète un vinyle, c’est un événement. Plus que lorsque l’on a dans les mains une carte SD ou une clé USB.

Il paraît que vous collaborez de nouveau avec Christophe, quarante ans après l'album Les Paradis Perdus (1975) pour lequel vous aviez écrit plusieurs textes...

Il fait effectivement partie des gens qui figureront dans le deuxième volet d’Electronica. C’est un vrai plaisir. Cette fois-ci, j’ai fait la musique et on est entrain de travailler sur l’enregistrement des voix. Christophe possède une approche tout à fait organique du son et il est lié à une exploration sonore continuelle. Il a évidemment une place à part entière dans la musique électronique. Et il était impensable qu’il ne fasse pas partie de cette aventure…

Interview T.G

  • Jean-Michel Jarre - Electronica, Volume 1. Time Machine

  • Jean-Michel Jarre - Electronica, Volume 2 (avril 2016) avec notamment Jeff Mills, Rone, Christophe ou encore David Lynch.

Jean-Michel Jarre et Nicolas Godin (moitié du duo Air)
Jean-Michel Jarre et Nicolas Godin (moitié du duo Air)
  • Dans les coulisses de... Close Your Eyes avec AIR

« Avec Jean Benoit et Nicolas, nous voulions profiter de l’occasion pour revisiter l’Histoire de la Lutherie électronique. Ce morceau commence avec le premiers instruments que j’ai utilisé à l’époque de Schaeffer, les premières boucles fabriquées avec un rasoir du scotch et des bandes magnétiques pour aller vers les premières boites à rythme, les synthés analogiques, les samplers (Fairlight) jusqu’au dernier son fait avec un iPad. Sur un seul morceau, on couvre presque 80 ans de lutherie électronique »