Zulu Nation et culture Hip Hop
"Au début des années 80, nous habitions tous à Villeneuve Saint-Georges, quartiers Nord dans un ensemble de HLM répartis selon les corps de métiers, les PTT, la Police, l’administratif et... les cas sociaux ! Il y avait Striker, J.P, son grand frère et animateur de Radio 7, Bob, animateur sur Tropiques FM et des mannequins qui avaient quitté le quartier pour la Suède et qui revenaient… Quand on a grandi dans cet environnement, c’est plutôt sympa parce qu’on a vécu une époque où il y avait un respect des vraies valeurs. Les grands frères avaient des expériences dans les médias, des radios pirates et d'autres faisaient leurs premiers pas de Jazz Rock et Rap au Bataclan ou à Colonel Fabien. Lorsqu’ils revenaient le dimanche et qu’ils nous parlaient de leurs après-midi, il y avait un effet ostentatoire presque religieux. Fallait y être. Il y avait déjà ce côté communautaire de gens qui vivaient des valeurs urbaines. C'était l’époque des films Beat Street et Break Street 84. Nous étions tous jeunes, attentifs au tag, à la beat box et au style vestimentaire. Les gens nous appelaient les "Zoulous". Pantalons écharpes, ceintures avec ton blaze, baskets à gros lacets et la chapka par 30 degrés ! Malheureusement, les Zoulous ont souffert d'une image négative. On les confondait avec les auteurs d'agressions qui se passaient en banlieue et dont seules "les bandes" étaient responsables. Les "Zoulous" sont pourtant les premiers à avoir revendiqué la culture Hip Hop. Les grands frères achetaient des disques, fréquentaient le monde du djaying, allaient aux Etats-Unis et rapportaient des vinyles. De la simple écoute, on est passé au championnat de DJ DMC avec Jimmy Jay. On a eu la chance qu'il ait un studio pour faire de la musique et des rencontres. Ce studio, à Bagnolet, nous a permis de draîner de nombreux rappeurs et de crews. Aussi lorsque Rapline a débarqué à la télé, nous avions déjà un studio d’enregistrement, on faisait déjà des maquettes. Cette médiatisation sur M6 a permis une diffusion du rap à l’échelle nationale"
Passage à Radio Nova
"En 1986, le soir avec des potes à l’arrêt de bus, on sortait notre ghettoblaster, on faisait tourner des cassettes, on racontait n’importe quoi, puis en se creusant la tête, on parvenait à aborder de vrais thèmes. Le Deenastyle arrive en 1988 sur Radio Nova. Tu passais une fois à la radio, toutes les villes de la banlieue parisienne te connaissait même si ce que tu avais proposé été pourri !"
Coup de projecteur sur le posse 501
"Eté 1990, j’appelle Claude de Guadeloupe. Il a rencontré des gens qui serait interressés par ses textes. "Il y a moyen de sortir un disque" dit-il. Moi, j’étais parti avec des instrus sur cassettes et je faisais la tournée des podiums dans des communes avec des vieilles sonos et une volonté de bien faire. Quand je suis revenu fin août, Solaar était bien avancé avec Polydor et le single Bouge de là était sur le point de sortir. Le 501 posse (constitué de graffeurs, danseurs, musiciens…) se trouvait propulsé sur le devant de la scène grâce à Claude et son tube basé sur cette fameuse boucle du The Message de Cymande recyclée par Jimmy Jay avec l'aide de Jean-François Delfour"
Une locomotive nommée "Bouge de là"
"C’est le trajet d’une personne en partant de chez lui a qui il arrive de nombreuses péripéties. C’était celui de Claude. Pendant de nombreuses années, il quittait Villeneuve Saint-Georges pour Jussieu en passant par Maisons-Alfort et Gare de Lyon… A l’époque, à la télé, il y a de nombreuses émissions de variétés présentées par Jean-Pierre Foucault ou Patrick Sabatier et d'autres l’après midi sur FR3. Moi, je suis le pote, je monte des chorégraphies, je suis aussi un peu le chef d’équipe, le lieutenant, je veux faire partie de l’Histoire. Grâce à Bouge de là, on parcourt la France entière, les foires, les villages… Entre temps, mon titre Elucider ce mystère est passé sur Rapline et a été clipé par François Bergeron (première version). On me présentait comme une star nouvellement née. Avec un peu (trop) de fierté, j’avais pourri mes deux émissions de radio, je devais alors m’accrocher pour ce clip. Puis il y a les concerts où je suis la deuxième voix de Claude, un vrai soutien, je connais les paroles par cœur"
Un "Classique"
"Elucider ce mystère, c’est un monsieur tout le monde a qui il arrive une histoire. Ce titre est construit de manière à exposer des faits que tout le monde connaît et à inviter chacun d'entre nous a se poser la question : qu’ai-je fait pour éviter cela ? Une manière de parler d’un sujet grave (la détresse et la pauvreté, ndlr) et de prendre à témoin tout le monde. Parler des clochards, c’était une première dans le rap. J’avais monté cette histoire à la Hercule Poirot. Chronologiquement, j’essayais que tout soit cohérent avant de trouver les rimes. Puis j’ai opté pour un ton à la Mike Hammer. Pour le son, Seeq avait déniché une boucle de Diana Ross (Brown Baby, ndlr) que l’on avait reconstruite. A cette époque, tout le monde avait opté pour la formule DJ/Micro. Moi je voulais que ma musique soit "visuelle" avec de vrais musiciens pour me différencier des autres (voir ci-dessous la video du Live de Taratata, ndlr). Je voulais qu’on parle de ma musique d’une manière différente. Elucider ce mystère, c’était presque philharmonique ! Pour le clip (voir vidéo ci-dessous), nous sommes allés tourner aux Etats-Unis. J’avais rencontré un jeune réalisateur, Gilles Dariès dont le père travaillait chez Disney et qui connaissait les Etats-Unis. Il voulait me filmer dans les rues de Los Angeles au milieu des gens. Je n’étais jamais allé aux Etats-Unis, je trouvais çela sympa de m’y rendre..."
Tournées avec Solaar et prétentions Européennes
"Lorsque tu téléphones pour prendre rendez-vous avec les maisons de disques, on s’interresse à toi grâce à ta proximité avec Solaar. Avec lui, je suis allé au Japon, aux Etats-Unis, en Russie. Quand est venue l'heure de signer un contrat, je ne voulais pas me retrouver dans la même maison de disques que les gros vendeurs de rap français de l’époque. Solaar était chez Polydor, IAM chez Virgin, NTM chez Epic. Il restait EMI et cela ne me dérangeait pas de traverser tout Paris pour aller à Issy-les-Moulineaux ! J’ai rencontré le directeur artistique Gérard Jardillier qui a écouté les titres de Rap Jazz Soul. Le EP est sorti en 1992. Ce format permettait de condenser et de mettre en avant le meilleur. Ce mini album était fait pour être joué sur scène. A cette époque, Gangstarr s’essayait au "Hip Hop Jazz" tout comme The Roots. La formation, la 500 Uno, était composé de claviers-basses-batteries dirigés par Seeq, d'un saxophoniste, d'une flute, d'une choriste, et de Striker avec moi au micro. On partait à 13 en tournée avec des moyens importants mis à notre disposition. Le projet est devenu un objectif européen pour EMI. Aussi, je vais même faire plus de dates que Solaar à l’étranger (200 par an) car la sortie de Rap Jazz Soul va se faire dans une vingtaine de pays, notamment chez Blue Note à New York. Finalement, si les autres pays rappent dans leur langue, c’est sûrement grâce au Rap Français. Il aura joué un rôle important dans le hip hop international"
"He's calling him"
"Le clip d'O.P.I.D (pour Oeuvre Parfaitement Interprété en Doigt majeur, ndlr) a été réalisé par Percy Adlon, le réalisateur de Bagdad Café. On trouvait que les couleurs qu’il utilisait dans ce film culte correspondait a ce qu’on voulait. On a pris contact avec lui et il a accepté. La rencontre devait se faire à Paris. Pas de bol, je rate le rendez-vous. Catastrophe, il repart. Quelques mois plus tard, on est allé à Los Angeles, son fils est venu nous chercher à l’aéroport. On a fait ce clip avec l'esthétique de Bagdad Café. Je suis dans un "Barber Shop", je convoite la fille du barbier. Le père me fait la barbe et hésite entre m’égorger ou faire son travail. Finalement, c’est une histoire de cul gentiment tournée"
Soon E sourit... en Allemagne
"On fait les premières parties d’Alpha Blondy, Gangstarr, Arrested Devlopment ou De la Soul. Avec Atout... Point de vue, on approchait les 100 000 exemplaires vendus. Je vendais plus de disques en Allemagne qu’en France. Là-bas, je faisais une vingtaine de dates de Nuremberg à Rostock en passant par Francfort..."
Propos recueillis par T.G pour l'écriture du livre Hip Hop, le rap Français des années 90 (Editions Fetjaine).
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