Combien de fois l'avez-vous eu entre vos mains, combien de fois l'avez-vous prêté et surtout combien de fois avez-vous demandé à celui qui vous l'avait emprunté de vous le ramener... illico ! Histoire de le voir regagner votre étagère ? Ce disque intitulé Bizarre Ride II (sorti en 1992 chez Delicious Vinyl) et signé The Pharcyde, collectif rap du quartier de South Central à Los Angeles, reste toujours aussi beau à l'extérieur qu'à l'intérieur. Mais restons en surface, celle qui aiguise notre oeil.
Révélation
A première vue, rien d'exceptionnel : on y découvre les quatre MC's du groupe extasiés dans un wagon qui sort visiblement du "Grand 8" d'un parc d'attraction. Sauf que déjà, cette porte aux formes "bizarres" (évidemment), nous rappelle vaguement quelque chose et fait se connecter nos synapses les plus lubriques... Une sorte de vision "classée X" surgit alors, appuyée par cet oval rosé et... pétaradant (si, si, le détail du pot d'échappement sur le côté, genre on va jusqu'au bout du délire...). L'idée se confirme en déroulant la pochette dudit CD qui s'étale sur 6 carrés habilement pliés. C'est (enfin) la révélation.
Subliminal
Le titre de l'album de Pharcyde prend ainsi tout son sens. Et l'image subliminalement sexuelle affichée sur la jaquette brille par sa créativité. Derrière ces montagnes russes, on découvre en fait les courbes d'une femme, jambes écartées et seins proéminents (symbolisés par les rails), exposant son vagin au beau milieu d'une fête à Neuneu, un peu déglinguée. D'où l'état second des quatre Pharcyde qui ont visiblement pris leur pied.
Gustave Courbet à la sauce West Coast
Derrière ce dessin "arty porn", on retrouve Slick (Richard Wyrgatsch II à l'état civil), un "graffiti artist" réputé de Los Angeles et diplômé du Art Center College of Design (Pasadena, CA). "Nous étions à table avec les Pharcyde, raconte l'interressé. Défoncé ou... presque. Et j'ai lancé : "Faisons des montagnes russes !" Et puis, ce sera une femme dans laquelle vous allez entrer par le vagin". L'un des membres de Pharcyde a alors ajouté :" Donnons lui l'apparence d'Ebony Ayes (légende du porno Black, ndlr)!". Le décor est planté. Reste à finaliser le projet... Internet n'ayant pas à l'époque encore tisser sa toile, Slick se procure quelques photos de "Wooden Roller Coasters" (des montages russes ancienne génération construites en bois, ndlr), notamment le Colossus Six Flags Magic Mountain inauguré en 1978 à Valencia (Californie).
"Pendant que je peignais..."
"Je ne m'étais jamais livré à ce genre d'exercice poursuit Slick. J'ai dessiné des kilomètres de rails pendant des jours et des nuits. Quand j'eu fini, mon fils est venu me voir avec l'illustration d'une attraction déglinguée. J'ai refait tout ce que j'avais déjà dessiné. Au final, cela a pris énormément de temps pour réaliser cette couverture". Du temps, mais aussi du courage. "Pendant que je peignais, je me faisais piqué et attaqué par des fourmis rouges glisse l'artiste. Au point que mon partenaire, Erik Brunetti (avec qui il va fonder Fuct) croyait que j'étais tout simplement défoncé". Décidément...
Pliage et double sens
Quant au message tendancieux et explicite affiché, Slick n'a jamais eu peur d'être retoqué avant parution. "Pour la simple et bonne raison que nous avions prévu le coup en jouant sur le pliage et sur le choix du titre de l'attraction, Bizarre Ride II, qui possédait plusieurs niveaux de lecture. Finalement, tout n'était pas aussi évident...". Après cette expérience, qui selon ces dires, ne lui rapportera que peu d'argent par rapport à l'investissement physique (et moral), Slick se tournera vers une carrière de designer de vêtements (Fuct). Pourtant, l'exposition dont jouit aujourd'hui son oeuvre en valait vraiment la chandelle. Car la pochette de Bizarre Ride II, tout comme le contenu musical du CD (désigné meilleur album rap de tout les temps par Kanye West, ndlr), a durablement marqué les esprits... Et nous rappelle encore aujourd'hui aux bons souvenirs de nos fantasmes d'adolescents boutonneux. T.G