En 1996, le 15 avril précisément, il nous convoquait à sa Première Consultation. Un mystérieux rendez-vous dans un cabinet de curiosités musicales à l'intérieur duquel s’entassaient, pelle-mêle, allusions sexuelles, odeurs de bitume, photos jaunies, références footballistiques et réflexions philosophiques. Si, si… Bon seigneur pour débuter la séance, Bruno jouait alors la carte de la galanterie en intimant cet ordre malicieux à la gente féminine : Viens voir le docteur. Jeux polissons ou de rôles sponsorisés par AB Productions (Tu seras Helène et je serai tous les garçons), les présentations s’affranchissaient, dès le départ, de toute forme d' intimité. Aussi, le numéro de téléphone, le 3 6 63 63 40, était jeté en pâture, aussitôt noté dans tous les agendas et prêt à être composé pour la prochaine visite.
Cette introduction (sans mauvais jeux de mots) se poursuivait Dans ma rue, du bucolique Boulevard Ney au domicile Porte de la Chapelle. le Doc quadrillait le 18è arrondissement pour en restituer l’ambiance… Ambiance. Le vendeur de grec voulait nous empoisonner, sa viande était bizarre, son huile était périmée. Et comme nous, l'épicier faisait ses courses à Ed. Il nous revendait les mêmes produits qu’il achètait l'après-midi. Quatre ou cinq fois plus cher, la nuit... On avait comme l’impression d’avoir vécu cette situation…
Pourtant, des pensées obscures venaient chambouler ce paysage délicieusement apocalyptique. L’appel du Nirvana, cet ailleurs où règne le bien-être, venait troubler un quotidien duquel il devenait vital de s’extirper. Comme Bérégovoy, aussi vite que Senna…
Mais Bruno fermait la parenthèse pour se réfugier dans un bien meilleur échappatoire, le football, ses Passements de jambes, Guadalajara, Papin et son Cacolac et bien sûr Basile Boli. Par contre, surtout "pas d'échange de maillot, tu pourrais prendre mon flow". Sur le beat, en tout cas, Gyneco flambait.
Il savait aussi jonglé sur l'émotion avec ses racines. Celles des terres Guadeloupéennes qui invitent à la détente, au rhum Bologne ou La Mauny. Là où le soleil rythme les journées, là où l'on coupe la canne pour en prendre le sucre, mélanger citron vert et... tous les chemins menaient au rhum Trois-Rivières. Son père est né là-bas, sa mère est née là-bas, lui était Né ici, à Clichy. Dans la misère et les cris.
Heureusement, les femmes lui redonnaient le moral, loin de la morale. Notamment une certaine Vanessa, à l’époque aux mains d'un certain Lenny, mais avec laquelle Bruno, en toute décontraction, imaginait des scénarii dignes de ceux diffusés tous les premiers samedi du mois sur une chaîne cryptée.
Et le rap dans tout cela ? S'il en était évidemment question tout au long de cette Première Consultation, "Classez moi dans la varièt’ !" clamait pourtant haut et fort Bruno sous forme de pied de nez aux détracteurs qui, dans ce puzzle furieusement G-Funk aux sirènes « Doggystyle », n'osaient y voir qu’une déviance au rap conventionnel.
Le Doc n’en avait cure, occupé à dépeindre avec cynisme et humour ces Filles du Moov’ en cloque qui touchent des allocs.
"Si tu crois que je pèze, que j’habite dans l’16, que je n'mange plus d'guez et que j'suis à l'aise" leur assène-t-il. Et si, et si… Imaginez un peu, Eddie Barclay ne l’avait même pas invité dans sa super soirée. Etonnant pour quelqu’un qui débarque sans prévenir. Doc, c’est bien Celui qui vient chez toi quand tu n’es pas là non ?
Deux décennies plus tard, une seule question subsiste. Première Consultation, est-ce que ça le fait ? Et là, évidemment, la réponse est "claire comme l'eau, comme l'eau de la mer" : Ouais ! Ouais ! T.G
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