Très attendu, pour ne pas dire surveillé comme de l’huile sur le Feu, ce premier long-format signé par le leader charismatique du collectif 1995 possède la force de frappe d’un futur « classique ». Maturé depuis plusieurs années, raturé, effacé, actualisé, Feu s’est construit sur la longueur, sans doute parfois dans la douleur et évidemment sur le vécu de ce jeune MC dont il livre ici quelques clés. En alternant instrus académiques fidèles à l’esprit des années 90 et constructions plus électroniques puisant dans la Trap, le down-tempo et même le R'nB, Nekfeu parvient à ne pas lasser tout au long des 18 titres qui illuminent ce disque. L’artiste réussit aussi, par un subtil jeu de flows, à alterner parties chantées, rap classique, sessions freestyle appuyées par un débit mitraillette. Un choix qui lui permet de montrer ce dont il est capable en terme de technique (ce qui a souvent fait sa réputation), mais aujourd’hui surtout en terme de créativité et tout simplement d’écriture. A l'image du Horla, titre référence à l’œuvre de Maupassant, qui permet à Nekfeu de tracer son journal intime sur un beat dépouillé et minimaliste.
Parmi les morceaux qui peuvent sans doute le plus séduire les anciens (pour peut-être en finir avec le fameux « c’était mieux avant »), on peut citer On verra qui rappelle furieusement The Race, l’un des meilleurs titres de Wiz Khalifa. On hallucine aussi sur Reuf (produit par Pierrick Devin & Superpoze) avec Ed Sheeran dont l’orientation House proche du Breathe de Telepopmusik risque de faire jazzer les puristes. Pourtant il se révèle extrêmement cohérent et réussi sur toute la ligne. Que dire encore du vaporeux Egérie, illustré par une vidéo à l’ambiance « Road trip » nocturne, soutenu par des textes bien ciselés et parés d'une instru (signée du Grenoblois Hugz Hefner) à faire pâlir les Ricains. Petit Français, mais grand talent ce Nekfeu. On pourrait ainsi égrainer tous les morceaux de cet album en y trouvant à chaque fois d’excellentes raisons de l’écouter. Et même si parfois les premières minutes d’un morceau peuvent annoncer une faiblesse (Ma dope), quelques secondes suffisent pour écarter d’un revers de rimes et de notes les mauvaises langues. En tout cas, celle de Nekfeu a tourné plus de sept fois dans sa bouche et son stylo affiche souvent une mine radieuse.
Les 18 flammes qu’il propose à son auditeur réchauffent le cœur et transmettent des émotions fortes (Rêve d'avoir des rêves). Feu est un album amené à devenir intemporel comme le sont de nombreux disques Rap sortis dans les années 90. Sans doute parce que Nekfeu ne se moque pas de celui qui veut bien l'écouter, réinvente le Rap sans le travestir (Etre Humain), manie les mots avec dextérité et envie (Jeux d'ombres), manipule ses textes avec maitrise et respect (Martin Eden). Sa démarche transpire la sincérité (Mon âme) et ça se sent. Dans le Hip Hop, comme dans la musique en général d’ailleurs, on ne peut pas tricher. Car la qualité d’un disque en dépend. Et la survie d’un artiste en découle. N’ayons pas peur de dire, haut et fort, que Nekfeu fait honneur au Rap. On a juste envie de lui dire « merci ». Et au nom du Hip Hop, on irait même jusqu'à lui déclarer notre flamme. Big Up.
T.G
Nekfeu - Feu (Polydor)
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