Quand, où et comment est né ce duo ?
J'ai rencontré Marc (Durif) au lycée, à Nice. Il dormait toujours au fond de la classe. Moi je l’admirais, pour son piano, son incomparable sens du rythme et de l’harmonie et... sa chambre ! Elle était remplie d’instruments et de synthés, une vraie caverne d’Ali baba : Moog, ARP, des basses et des guitares partout, des magnétos à bandes pour enregistrer.Comment ne pas désirer faire un groupe ensemble? Puis on s’est perdus de vue quelques années pour mieux se retrouver vers l’âge de 25 ans à Rennes où j’avais été nommé pour enseigner la philosophie, l’engagement de ma vie. J’avais déjà un bon studio à la maison, et Marc était un peu perdu dans ses projets. J’ai trouvé, à ce moment là, le nom de Nova Nova, ça devait être en 92. Et c’était parti...
Pourquoi ce nom de scène ?
Je ne voulais pas d’un nom anglicisant. Nous étions Français. Nova Nova signifiait pour moi un appétit irrépressible de nouveauté. Pourtant on n’a rien renouvelé. On ne le prétendait pas d’ailleurs. Mais on a fait de belles choses !
Comment êtes-vous arrivés chez F Com ?
Eric Morand, le label manager, nous avait repérés bien avant que l'on joue aux Transmusicales de Rennes avec Carl Cox et Orbital l’année suivante, en 93. Je me souviens qu’il n’avait, à cette époque, qu’une seule maxime pour orienter ses signatures. Une maxime que d'ailleurs tout directeur artistique devrait faire sienne aujourd’hui : "C’est beau ? On le sort !". Eric était réellement touché par nos titres. Il les aimait. Il nous respectait, nous écoutait,. Il savait nous valoriser, nous conseiller quand il le fallait mais sans jamais imposer ses vues. Eric refusait, par exemple, catégoriquement de venir en studio avec nous pour éviter de dénaturer notre musique, de chercher à l’orienter dans un sens ou dans un autre. C’était son idée de la liberté. Et c’était évidemment la bonne méthode. Surtout, il savait tenir parole. Jamais de promesses non tenues ! Notre premier maxi sortait dès les premiers mois du label en juin 94 dans le monde entier. C’était merveilleux de faire ça à cette époque. Laurent Garnier est venu fêter ça avec nous dans la foulée au Café Carmès de Rennes. Ils n’avaient jamais vu ça : 400 personnes se pressaient dehors pour essayer de rentrer !
Elles étaient très bonnes. La devise était celle de la "F Com Family". J’aimais bien Juan Trip, Scan X ou Jori Hulkkonnen qui venait de Finlande avec un seule valise dans laquelle il mettait tout son matos mêlé à ses paires de chaussettes. C’était drôle. J’aimais bien aussi Lady B, Elegia aussi ou Chris Honorat de Chaotic Ramsès. Laurent Garnier nous emmenait en Belgique ou en Hollande faire les premières I LOVE TECHNO. Cela devait être autour de 96. Si on me dit Ludovic Navarre ? Un véritable et profond artiste. J’ai pour ma part un excellent souvenir de mes échanges avec lui. Mais j’apprenais surtout de Laurent Garnier. Son ouverture d’esprit, son expérience, son regard sur les choses : ne jamais être aigri ou jaloux de quoi que ce soit ou de qui que ce soit. Agir plutôt que se lamenter ou parler dans le vide, voyager pour ne pas rester prisonnier d’une vision trop étroitement franco-française, ne jamais se reposer sur ses lauriers. Et surtout, ne pas trop se la raconter ou tout ramener à soi, être indifférent enfin à tous les dénigrements, d’où qu’ils viennent. Là encore, une certaine idée de la liberté, du goût pour l'action et de l’esprit de tolérance qui façonnaient l'essence même du label. En même temps, j’avais envie que Nova Nova existe en tant que groupe, c’est-à-dire en dehors de toute référence à ce label, mais c’était très difficile, presque impossible tant la notoriété de F Com prenait le pas sur celles des artistes signés en dehors de quelques trop rares exemples. Je n’aimais pas l’idée de n’être qu’une facette de label, même dans une telle maison. Mais oui, évidemment, c’était d’abord une grande chance d’être avec eux.
Quelle est l’histoire de ce superbe et long morceau intitulé DJ G.G (extrait de l'album Nova Nova feat. Zarathoustra - 1995) ?
DJ G.G était un ami qui est mort dans un accident et auquel on tenait énormément. Il nous avait été présenté par Jean-Louis Brossard, le patron des Transmusicales de Rennes qui était lui aussi un de ses proches amis. Au moment de sa disparition, on a décidé, tous ensemble, de lui dédier ce titre.
Comment a été composé le titre Bewildered (extrait de l'album La Chanson de Roland - 1999), que l'on considère ici comme l’un des plus beaux que vous ayez fait ?
C'est un morceau de piano composé par Marc seul, mais qui a été extrêmement long à produire, beaucoup trop long. Trois années se sont écoulées entre le moment où il m’a fait entendre les accords qu’il avait trouvés et la sortie de ce titre sur notre album qui devait d’ailleurs signer notre séparation. On a fini par le sortir après d'interminables atermoiements, des hésitations sans fin pendant des mois, des années. Je ne peux plus, dans ces conditions, en garder un super souvenir. Au bout d’un moment, comme tout le monde, même le meilleur des morceaux te devient insupportable. C’est normal, inévitable. Mais bon, cela reste un beau titre, même si je ne l’ai jamais réécouté depuis sa sortie…
C’est Elisa Carrahar (ci-contre). Elle avait été repérée par Massive Attack. C’est Eric (Morand) qui nous l’avait trouvée grâce à ses amis de chez WARP si je me souviens bien. Elle a une voix sublime, c’est certain. Aujourd’hui, elle vit à Newcastle avec ses enfants. Et elle est, près de vingt ans après, sur mon nouveau EP...
Je crois que ça reste le EX EP. Notre album (La chanson de Roland - 1999, ndlr) n'était pas mal non plus. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être fiers d’une certaine intégrité ?
Je pense peut-être à une soirée au Liban en mars 1997. Vous imaginez : faire un concert dans un ancien lieu de guerre... Nous étions dans les ruines de l’hôtel Holiday Inn de Beyrouth. Ce grand building qui tenait encore debout était criblé d’impacts de balles et de trous de mortiers. Il était fermé au public depuis des années. Au sol, une très épaisse poussière, de plus de vingt centimètres, sur laquelle on ne pouvait avancer sans déclencher l'un de ces gros nuages qu’ "adorent" les instruments électroniques. Nous nous sommes donc installés là. Comme nous avons pu. Nous étions invités par un diplomate Français qui avait voulu faire de cette soirée un message de paix. C’était incroyable et plutôt beau de voir ces milliers de gens danser et faire la fête dans un lieu pareil. Peut-être un peu facile comme message, mais bon, c’est pas mal, non ? Je garde en tout cas le souvenir de gens très agréables, bien plus conscients de la valeur de l’instant présent que nous le sommes.
Vous avez aussi joué avec les Daft Punk parait-il...
C’est vrai, notamment au Zénith de Nancy pour le Jazz Fest en octobre 1997. Je les ai toujours beaucoup admirés pour ce qu’ils font bien sûr, mais d'abord pour ce qu’ils sont : un modèle d'intégrité et de simplicité. Un souvenir ? Celui de la tronche déconfite d’un célèbre DJ qui était avec nous quand il s’est agi d’aller dîner. Nous étions là, Marc, moi, Thomas et Guy Man, et ce DJ américain, par ailleurs excellent, rien à dire là-dessus... Mais bon, pour l’anecdote, ce dernier s’imaginait sans doute qu’il était indigne pour les Daft Punk d’aller manger dans une vulgaire cantine, un catering où on te sert un plat de légumes bouillis plutôt tiède en général, le tout dans le bruit et sous une lumière platement crue et blanchâtre. C’est pourtant ce qu’on a fait. J’ai adoré ça. C’était drôle. Et ce n’était pas une posture, c’était eux, vraiment.
Avec quels artistes aviez-vous des affinités à l’époque de cette « French Touch », dans les années 90 ?
Je n’ai pas d’idées. La notion de « french touch » nous faisait plutôt sourire, comme beaucoup d’ailleurs. Aujourd’hui, être plutôt intégré à cette "French Touch" me paraît préférable à en être exclu. Mais seulement pour la mémoire alors...
Où en est le duo aujourd’hui ? Quels sont vos projets ? Ensemble ou séparément ?
Je sors un EP intitulé, avec une certaine autodérision, Music For Myself sur le label « SO » en téléchargement, puis en version vinyle édition limitée. De son côté, Marc fait des titres seul depuis un peu plus d'une dizaine d'années sous le nom de Nova Nova. Je suis finalement très heureux de faire des choses sous un nouveau nom. Au départ, j’avais presque envie de le reprendre, mais finalement c’est bien mieux d’être dans la fraîcheur d’un nouveau projet. J’ai aussi l’immense joie d’avoir pour ce EP les visuels d’une artiste que j’admire de façon inconditionnelle : Geneviève Gauckler. Ses visuels sont absolument sidérants et vraiment superbes ! Elle a su saisir l’essence du contenu de mon projet et l’illustrer de façon drôle, immédiate et sublime du point de vue des matières et des formes. Je voudrais écrire un livre sur Geneviève, sur son oeuvre, mais pour l’instant je n’ai pas trouvé la bonne tonalité. Je suis trop conceptuel, trop technique philosophiquement quand j’écris sur elle. Je crois que je vais plutôt faire des poèmes. Au moins là, je suis vraiment chef d’orchestre. Enfin… Musique, poésie et philosophie, voilà toute ma vie. Trois démarches qui s’interrogent mutuellement et se complètent parfaitement pour moi. Après tout, c’était peut-être ça Nova Nova... Rien de plus, au fond, qu’un désir d’harmonie. Interview T.G
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